A l’époque, je marchais encore beaucoup. J’aimais me promener d’un bon pas dans la nature, écouter les oiseaux, ramasser toutes sortes de petits trésors : feuilles, glands, marrons, plumes
d’oiseaux, etc… Notamment, je ne passais pas une semaine sans flâner au bord de l’Oise, de chez moi, Saint-Ouen l’Aumône, à Auvers aller et retour, et poussant même certains jours jusqu’à L’Isle Adam. Parfois, je devais me forcer, mais j’en éprouvais un grand plaisir et une autosatisfaction.
Un jour, je décide d’emprunter pour mon retour l’autre rive, celle qui mène à Pontoise. De coquettes maisons avec la plupart un grand jardin agrémenté d’arbres,
de fleurs, de petites pièces d’eau, me régalent les yeux. Les canards dans la rivière m’enchantent et m’amusent, je leur apporte toujours des restes de pain et j’essaye de le répartir équitablement en écartant judicieusement les goinfres et en visant le bec des timides et des faibles. Puis soudain, en chemin, j’arrive à la hauteur d’une barrière plutôt haute, bardée de caméras et surmontée de fils barbelés. Intriguée, j’imagine qu’il s’agit là, soit d’une ambassade, soit de pauvres gens qui auraient été cambriolés maintes fois. Du coup, je décide les fois suivantes, de reprendre ce chemin du retour et me dégote un raccourci jusque chez moi.
Un jour, j’y amène ma soeur et son mari d’Allemagne. Juste ce jour-là, alors que ma soeur s’était aventurée à jeter un oeil par la serrure, la porte s’ouvre, ma soeur et moi sursautons de terreur, et quelqu’un nous apparaît. Un grand monsieur, avec des yeux rayonnants de bonté et un sourire jusqu’aux oreilles découvrant des dents éclatantes nous accueille. Je n’oublierai jamais l’effet que ce visage rempli de bonté m’a fait ce jour-là. Mon beau-frère a discuté
avec lui en allemand, car cette apparition ne parlait pas français. J’ai saisi au passage les mots : Iran, Radjavi, démocratie. Je ne comprenais rien.
Ma curiosité l’emportant sur la timidité, je suis revenue plusieurs fois devant cet endroit intrigant. Puis un jour, j’ai décidé de découvrir l’autre façade de la propriété, le devant, l’entrée. J’ai vu deux jeunes filles à la tête couverte d’un foulard. Je leur ai posé des questions, elles m’ont fait rentrer dans une grande salle et m’ont parlé.
Je ne comprenais pas tout, mais j’ai tout de même saisi qu’il s’agissait d’un groupe d’opposants au régime des mollahs au pouvoir en Iran. J’ai laissé passer un mois, puis, comme aimantée, je suis retournée par la suite, j’ai reposé des questions.
Ils m’ont invitée à une grande fête qu’ils organisaient peu de temps après. J’ai été impressionnée par la foule de Français qui leur montrait de la sympathie, et par l’ambiance de
fraternité et de respect qui y régnait. Plus tard, je suis allée à une exposition à Paris, organisée par ce groupe. J’ai été bouleversée par les photos exposées de martyres du régime iranien, et par les phrases défilant sous mes yeux. Je n’ai pu retenir mes larmes, et je crois bien que c’est ce jour là que j’ai décidé de les aider.
Et me voici, 4 ans plus tard, je parle un peu leur langue, que j’apprends seule avec livre et CD, j’embrasse les femmes chaleureusement, mes soeurs, je leur rends des services, je vais à leurs manifestations quand je le peux, j’écris même à l’occasion, moi la timide, lettres et mails à des gens importants, je vais à leurs réunions, je ne rate pas une fête, je donne quelques cours de français, ils m’ont emmenée à New York, à Bruxelles, à Genève, et même…. à Ashraf, leur camp en Iraq où sont réfugiés 3500 d’entre eux – expérience inoubliable je les fréquente bien plus que ma propre famille -jalouse et inquiète. Je me dis souvent que le hasard fait bien les choses, car j’avais besoin de me vouer à une cause.
Quel chemin parcouru depuis, que d’émotions, de tristesse et de joie, de leçons de courage ! J’espère que l’aboutissement de tant d’années de travail acharné sera pour très bientôt, à savoir, leur reconnaissance de la part des gouvernements en tant que résistants, l’élection de Maryam Radjavi, l’Iran libéré des intégristes, la démocratie, le respect des différences et la
justice. Inch’Allah !!!
Caroline Mengin